Fin de cycle

Onze ans de vie. Je ne cesse de me dire que c'est considérable. Onze années à remplir la vie de l'autre. A être tout pour l'autre. Onze ans à construire, à nourrir. Onze belles années. Des années de sincérité, d'amour, de respect. Des années de bonheur, à ne pas remettre en cause. Si rien n'a été parfait, il ne sera pas de mon fait de renier ces moments. Je ressens déjà la douleur. Cette douleur provoquée par l'écart de nos envies, de nos aspirations. Cette pointe qui pique au coeur, ce décalage entre elle et moi. Elle qui ne sait pas encore, moi et ma détermination. La situation ne me plaît pas, mais je n'ai pas vraiment le choix. J'ai voulu être un bon mari, un bon père, et sans orgueil, je pense que j'y suis parvenu. J'ai contribué, assez largement je pense, à la rendre heureuse. Mais la réalité de mes envies est sans appel, le constat de la situation est clair. Le meilleur est passé. Et la force de l'habitude nous menace. Nos évolutions divergent. J'évolue vers la sincérité de ce que je suis. J'ai cru si fort que je faisais le mieux pour elle, pour moi, pour nous. Onze ans. Ce n'est pas rien. Mais ça ne fait pas une vie.

Il m'est impossible de savoir si je l'aime encore, si je ressens des sentiments forts ou si c'est la bienveillance qui prend le pas. Je m'en veux de ne pas déterminer cela. Même si les sentiments amoureux sont présents, encore, je n'arrive plus à quantifier leur force. Il me semble important, désormais, de conclure notre vie commune comme il le faut. Je sais qu'elle va souffrir, que je vais avoir mal aussi. Je sais que je m'y prépare alors qu'elle subira le choc de mes révélations. Je sais que je vais renoncer à voir mes enfants tous les jours, ces enfants qui sont ce que j'ai de plus cher, pour qui je donnerais ma vie, mon âme. Et c'est aussi parce que je veux leur transmettre les bons codes que je me dois d'être le plus sincère. Ne pas rester par obligation, par confort, sans volonté profonde. Ne pas leur donner cette image du couple et de la famille. Ne pas fausser leur vision de la vie. Je mesure tout ça. Avec gravité. Sans enthousiasme. Mais avec détermination. Partir comme il le faut, en respectant ma femme, en respectant sa douleur, sa souffrance, sa colère. Faire les choses le plus sereinement possible. Prendre le temps de faire les choses bien. Ne rien remettre en cause surtout. Parce que je suis heureux de ces onze années. Je suis heureux d'avoir eu le bonheur de partager un moment de vie avec cette femme, qui me l'a rendu. Ce que je lui dois, c'est d'être clair, serein, respectueux. C'est un minimum.

Prendre le temps de faire les choses... Elle sera toujours la mère de mes enfants et je dois avouer que je ne regrette pas un seul instant d'avoir partager cette envie de construire avec elle. Il me faut penser à moi, tout en pensant à elle. Ne pas travestir mes sentiments et mes envies. Lui laisser la possibilité de vivre sa vie affective, aussi. Faire le deuil de ce que nous avons partagé ensemble. Pour vivre d'autres moments, être heureux, chacun sur notre route. Il ne s'agit pas de remise en cause. Juste de la fin d'un cycle. La nécessité de se garantir un futur heureux. Nous serons toujours liés l'un à l'autre. Par les enfants d'abord. Parce que nous avons eu cette envie de nous marier, de nous investir l'un pour l'autre. Parce que, quoiqu'il arrive, nous nous serons aimés durant des années. Je vais la faire souffrir, je vais en souffrir, c'est certain. Je le sais. Je m'y prépare. Je sais ce qui m'attend, le regard des autres, la perte probable de gens qui comptent, comme dommage collatéral à cette volonté de faire de notre vie commune une histoire achevée. C'est le prix à payer sans doute. Mais je me fous de tout ça. La seule chose qui m'importe aujourd'hui, c'est d'essayer de mettre un terme à notre vie de couple de la meilleure des façons. C'est bien le moins que je puisse faire, tant ma femme compte pour moi, pour ce que l'on a vécu, pour ce qu'elle est, pour ce que je ressens pour elle. Lui donner l'occasion d'être mieux aimée, d'être heureuse comme je souhaite l'être moi aussi. Ne pas tricher. Lui dire tout ça. Avec force. Avec bienveillance. Que notre histoire sera toujours en moi. Que je ne regrette rien. Que j'aime ce qu'on vécu, ce qu'on a été. Et que ce qui était notre avenir est désormais un souvenir.

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