Chercher les signes

La vie est ainsi faite. Du moins, c'est ce que je crois. En réfléchissant un peu, ai-je été vraiment heureux, une seule fois ? J'ai eu le sentiment de l'être souvent. Mais en ressentant une amertume au fond, que je n'ai jamais vraiment su identifier. Avec le temps, j'ai dû me résoudre à être sévère avec moi, me disant que j'étais un éternel insatisfait, que j'avais de la chance, que ma situation ferait bien des envieux... Et pourtant, toujours cette amertume quand j'ai la sensation d'être heureux. Toujours bercé par le discours des autres. Toujours bercé par mes parents, vantant avec fierté la chance qu'ils ont de voir leurs enfants mariés, ayant acheté leur maison, ayant fondé une famille. La respectabilité. Et le vilain canard que j'étais dans mon adolescence et le début de ma vie d'adulte est finalement rentré dans le rang, pour le plus grand bonheur de ceux qui m'entourent. Jusqu'à ma femme. Elle qui connaît mes blessures, mes envies, mes plaisirs. Qui n'a jamais cherché à savoir ce que je ressentais aujourd'hui par rapport à ça. Elle qui refuse simplement d'aborder ces questions car "ce n'est pas sympa pour elle d'en parler". Alors c'est acquis, j'ai tout pour être heureux. Je suis devenu quelqu'un de respectable. Et quand il y a quelques années, mon épouse découvre mon infidélité, qu'elle la rapporte à mes parents, j'ai cru que ça aurait le mérite de révéler quelque chose de plus complexe. Finalement, non. Ma femme a feint de comprendre tout en considérant que j'avais fait la faute et qu'elle avait su se montrer magnanime dans l'intérêt de notre famille. Au début, j'ai cru qu'elle chercherait à comprendre. Mais les mois ont passé et m'ont révélé sa réalité, à savoir que je suis sorti du cadre imposé par ma propre déviance, et qu'elle a assuré la solidité de notre foyer par sa compréhension.

Je suis un peu perdu avec elle, depuis que je l'ai aperçue. Entre le bien fou d'être vraiment moi et la crainte engendrée par ma perte de repères. Elle m'a vu tel que je suis vraiment. J'ai eu le sentiment instinctif de lire la femme qu'elle est, bien plus profondément que ce qu'elle dévoile. Parce que je suis tellement moi avec elle, déjà. La prise de conscience. Et puis, l'envie de la revoir, l'envie de la vivre, pleinement. L'envie démesurée de la savoir heureuse. Elle ne triche pas, et j'aime être sincère avec elle. Les craintes reviennent pourtant. Pour moi qui n'ai jamais vraiment fait confiance à ce que je suis vraiment. Moi qui ait été quelqu'un d'autre parce que c'est ce que l'on attendait de moi. Il y a une notion de confort dans cette situation, comme une coquille protégeant ce que je suis vraiment, car je sais pertinemment qu'il existe un décalage. Mais elle a fait voler la coquille en éclat, laissant mon coeur à vif, aussi sensible aux émotions que des yeux redécouvrant la lumière. Je me sens tour à tour en décalage, maladroit, intrusif. Je manque de pertinence, je ne m'exprime pas justement, et je me hais d'être si gauche. Mes émotions me débordent, mais mon instinct ne me trompe pas. Et tout ça est si violent que je peine à le retranscrire comme il le faudrait. Elle se protège, elle s'est blindée à cause des blessures contractées auprès d'autres hommes, certainement plein de promesses et de désirs annoncés. J'aimerais tant lui faire savoir que je suis loin de tout ça. Que je ne triche pas avec elle, que je me retiens de toutes mes forces pour ne pas être ultra-démonstratif. Vu de l'extérieur, ça peut paraître dingue. Peut-être le voit-elle comme ça aussi. Mais pourtant, le temps avance et mes certitudes sur ce que je ressens et sur ce qu'elle est ne se trompent pas.

C'est ainsi un travail sur moi, visiblement. Je veux lui laisser le temps, malgré l'inhabituelle impatience qu'elle suscite en moi. La crainte qu'elle m'ignore finalement pour un autre qui sera plus pertinent, plus juste, plus adroit. La crainte qu'elle m'ignore parce que je ne sais pas dire ce qu'elle est pour moi et ce que je suis avec elle. La crainte qu'elle me rejette, la crainte qu'elle ne me laisse pas lui montrer ce que j'ai dans le coeur. Je déborde d'émotions. Toutes tellement fortes. J'aimerais pouvoir lui dire le plus justement du monde que je la ressens à chaque instant. Que je devine qui elle est et pas seulement ce qu'elle veut montrer. Que j'ai envie d'elle, surtout. Je cherche les signes. Les miens, les siens. Ceux que je dois suivre. Ceux auxquels je dois répondre. Ceux qui me permettront d'être plus adroit, plus juste. Qu'elle sache mieux que quiconque ce que je suis, ce qu'elle est pour moi. A chacun de ses silences, je me dis que je suis passé à côté, peut-être. Je dois réapprendre à parler, à écrire, à ressentir. Pour être moi, et le faire voir. Lui faire voir ce que je suis. Qu'elle n'ait pas peur de moi. Qu'elle n'ait pas peur de me faire confiance. Je cherche les signes. Ses signes aussi. Les signes de patience, d'envie. Je suis encore maladroit. Terriblement. Mais j'ai la conviction la plus intime que son irruption dans ma vie est une chance, un bonheur, une réjouissance incroyable. A moi de lui montrer. Qu'elle ressente au plus profond d'elle que je ne suis pas comme les autres, que je ne suis pas un bourreau. Et si j'ai toujours du mal à mettre des mots sur mes émotions, j'ai la conviction que je ne dois pas être désinvolte avec elle. Pour elle d'abord. Pour moi, aussi. Elle m'a fait un superbe cadeau en me révélant. Je veux reconnaître les signes qui me feront comprendre que ce n'est qu'un début. Mais en attendant, choisir le silence, parfois. Rester calme. Attendre les signes. En admettant de souffrir de les attendre en vain...

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