Infidèle travesti

Ma détermination devient totale. Froide. Ici et là, quelques phrases de soutien. Mais globalement, l'incompréhension, le choc, l'opprobre. A force de dire oui à tout et à tout le monde, les gens, les proches s'en accommodent. Puis osent dire ce qui me ressemble, ou pas. Me voir avec leurs yeux. Les entendre évoquer les qualités qu'ils me reconnaissent. Serviable, facile à vivre, optimiste, drôle, gentil, bienveillant... Voilà ce que je suis pour eux. Une espèce de type au sourire béat sur lequel on peut s'assoir, marcher, et qui pourrait même dire merci. Facile à vivre. Bon caractère. Patient. Presque rêveur pour certains. Dure réalité. J'ai dit non, tout à coup. Je ne sais pas pourquoi ce fut à ce moment. Mais en disons non avec toute ma force, j'ai vu l'incompréhension dans le regard des autres. De ceux qui sont les plus proches. Que lui arrive-t-il? Est-il fatigué? A-t-il des problèmes? Je me rends compte depuis que je ne dis jamais non. J'ai l'impression de le faire, quand on me sollicite pour quelque chose qui me déplaît mais que je ne refuse pas pour rendre service. Etre gentil, rendre service, être poli... Etre ce que l'on attend que je sois. En oubliant les écarts de conduite qui font de moi un être à part entière. M'entendre dire que j'ai fait ce qu'il faut pour être heureux, un mariage, des enfants, une maison, un chien... Et ressentir, finalement, que ma vision du bonheur que je croyais être mienne est en fait celle des autres. Je n'ai pas eu le courage de m'en rendre compte avant. Comme souvent, il faut un détonateur. L'explosion a eu lieu, tout récemment. Une onde de choc incroyable. L'impression que j'ouvre les yeux pour la première fois.

Je me souviens de son regard quand elle m'entend lui dire non. NON. Un mot simple pourtant. Sur une question insignifiante. Elle ne comprend pas, elle semble paniquée. Plus tard, elle me dira qu'elle a senti que tout s'effondrait. Juste pour un non. Prise de conscience. Voilà ce que je suis, un homme qui dit toujours oui, dont on sait qu'il supporte tout. Un homme qui ne souffre pas. Qu'on peut modeler à sa guise, qu'on peut déplacer d'un endroit à l'autre sans problème puisque c'est un brave type. Depuis, certains me disent comme je suis gentil. Et ça m'énerve encore plus. Comment ai-je pu trahir ce que je suis, tromper tout le monde sur ce que je ressens? Je suis forcément le seul fautif... Il ne peut pas y avoir une telle unanimité sans que j'en sois responsable. Je me déteste, dès lors. Voilà ce que je suscite, finalement. Je ne peux pas croire que j'ai laissé s'installer cette image de moi. J'ai honte. Vraiment. Il est grand temps de changer, de m'installer enfin comme je suis réellement. Une seule personne finalement, m'a vu comme je suis. Récemment. Une seule. L'idée d'avoir raté quelque chose. Et la volonté d'y remédier, le plus vite possible. Devenir moi. Au mépris de l'avis des autres. Etre responsable, toujours, mais être moi. Ne plus me trahir. C'est désormais une évidence. Car sous la pression, je n'ai pas tenu ce non évoqué plus haut. J'ai fini par céder. La haine de mon être, instantanément. La tristesse de voir que je n'ai pas réussi à tenir. Mais surtout, la promesse que c'est la dernière fois. On apprend tout de ses échecs. J'ai du travail...

Qu'est-ce qui a fait de moi un infidèle, un travesti de la vie? Juste moi. Mon attitude. A être ce que l'on attendait de moi, j'ai dû me réfugier dans la clandestinité pour répondre à mes désirs. Pour réparer quelque chose, en somme. Loin de l'amour dont je suis capable, loin de la vie rangée que je pensais inéluctable. Et pourtant, quand les sentiments ont repris le dessus sur le sexe, j'ai repris ces mêmes attitudes. Moins marquées, certes, mais elles étaient là. Ce qui a certainement conduit une amante à me briser avec violence. Ou une autre à penser que je serais toujours là pour elle, en fonction de ses désirs. Un consommable, sexuel et sentimental, parce qu'après tout, c'est ce que je leur avais montré. J'ai trompé mon monde, avec naïveté. Je pensais que j'étais le problème. Que je ne raisonnais pas bien. Qu'il fallait que je sois adulte. La violence de ma prise de conscience me fait perdre la tête. J'ai peur. Peur de l'inconnu que représente cette manière de respecter ce que je suis, enfin. Peur de souffrir aussi. Peur de tomber. Mon coeur est à vif en ce moment. Je suis nu. Mais je veux saisir ma chance. Je veux être moi, profiter de ma vie. Je veux que mes enfants soient fiers de moi quand ils seront en âge de comprendre que j'ai voulu oeuvrer pour mon bonheur. Je veux leur transmettre cette valeur. Qu'ils soient eux-mêmes, qu'ils ne réagissent pas en fonction de ce que les autres attendent d'eux. Si plus tard, je constate leur épanouissement, alors je me dirais que je leur aurais servi. Je n'en suis pas là. Je dois commencer par moi. Quelques mois pour régler tout ça. Briser les chaînes que j'ai moi-même mis en place. Vivre. Pour moi. Pour les autres aussi. Mais cette fois, sans les tromper. J'aime ce que je veux devenir. Ne plus être infidèle et partager ce que je suis, pleinement.

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